miércoles, agosto 07, 2013

Vous êtes trop petite; vous me gênez.

                                                                                                                        Sophie, encre de chine, planche 21cm x 29 cm.



Tout ce qui est différent a nous, nous appartient un peu. C’est ce que j’aurai du répondre au monsieur dans le supermarché la semaine dernière. Environ une soixantaine d’années, chapeau en paille, lunettes progressives, panier à la main, il venait surement de la plage et avait envie de manger du saumon comme moi. On se retrouvait côte à côte, on cherchait surement le moins cher, on avait chaud, on avait tous les deux un panier rouge de la même taille, on portait des sandales, on parlait la même langue, on a choisi le même petit supermarché dans la même ville à la même heure et on avait aussi deux bras, deux jambes, une bouche et un regard de personne inconnue dirigé vers l’autre. Pourtant je l'ai gênée, et comme il n’était pas très concentré sur ses courses, il a fait deux pas à gauche, il s’est tourné vers moi et il m’a regardé, j’enlève mes écouteurs, je fixe son regard curieux et il me dit : « Vous êtes trop petite; vous me gênez. »

Pourquoi était-il gêné?, s’est-il senti en danger?, je lui ai rappelée quelqu’un?, Me trouvait-il vraiment trop petite?, Fait il toujours la même chose avec des inconnus?, A-t-il raconté cette histoire a ses proches en rentrant chez lui?

C’est étonnant tout ce qui peut se passer dans un supermarché, ce n’est pas la première fois qu’un acheteur solitaire  me surprend avec une phrase hors contexte. La liste s’élargit,  son affirmation  m’a rappelé un bon nombre de personnes qui se sont permises d’ouvrir sa bouche avant de faire la transition cerveau-langue; « ah, vous aviez un petit accent! »,   « vous n’êtes pas d’ici… », « Ah!, la Colombie… c’est où la Colombie déjà ? », « En Colombie vous parlez quelle langue, le colombien ? », « Les fruits exotiques, les fleurs exotiques, les espèces exotiques, les recettes exotiques, etc. »,  «il y a que les prisonnières et les putes qui ont des tatouages », « vous avez de la bonne? », «elles sont comment les universités chez vous ?, j’imagine qu’il n’y a pas des salles d’infographie comme ici »…je pourrais remplir toute cette page sans effort. Tout ce qui est différent à chacun d’entre nous peut être soit rejeté, nié, refusé par les autres ou par nous mêmes parce qu’au premier regard on croit s’apercevoir qu’il n’y a pas une place dans nos vies pour un élément intrus, perturbateur, gênant (« vous êtes trop petite, vous me gênez »), soit l’élément nous interroge, nous rend curieux et on se met en relation avec lui. Dans les deux cas on se pose des questions, on se compare, on est séduit par l’inconnu et l'élément intrus est lui aussi interpelé. 

Cher Monsieur Inconnu, je suis désolée de vous avoir gênée, mais pourquoi vous êtes si grand? 

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